XVI
Le dos au mur

Au cours de leur première matinée en mer, le vent adonna considérablement ; avec ce changement de direction, un fort grain s’abattit sur eux.

Bolitho, couché sur la banquette d’étambot, regardait dans le vague à travers les vitres épaisses ; les rafales de pluie cinglaient la mer et résonnaient sur le pont au-dessus de sa tête. Dans les différents quartiers du navire, il entendait le martèlement des pieds nus des matelots ; les hommes surveillaient les cordages desséchés pour s’assurer qu’aucun d’eux, une fois gorgé d’eau, ne se coincerait dans les poulies. D’autres s’affairaient à recueillir de l’eau douce pour compléter leur ration.

Avec lassitude, Bolitho s’assit et s’abandonna aux mouvements du navire. Derrière le paravent, autour de sa couchette, il entendait Hugoe, le garçon de cabine des officiers, finir son nettoyage et ramasser le linge sale.

Herrick lui avait proposé plusieurs hommes désireux ou capables de remplacer Orlando. Mais Bolitho supportait encore mal l’idée de recommencer à zéro, tout au moins pour le moment. Hugoe était apprécié au carré des officiers et il n’avait qu’un désir : laisser son commandant remâcher dans la solitude ses tristes sentiments.

La pluie gargouillait dans les dalots et tambourinait gaiement sur l’écoutille bien fermée. L’eau… Sans elle, on était peu de chose. Il se remémora cet homme fou de soif qui avait sauté par-dessus bord pour se remplir l’estomac d’eau de mer ; il se souvint également de la terrible agonie d’Orlando alors que le requin le réduisait à l’état de purée sanglante.

Il fit un effort pour sortir sa montre et hésita avant d’en ouvrir le couvercle ; les quelques mots qui y étaient gravés lui sautèrent au visage.

Hugoe était debout à l’entrée de la cabine :

— J’ai fini, commandant. Aut’chose pour vot’service ?

— Non. Vous pouvez disposer.

Il lut de la curiosité dans les yeux du garçon de cabine.

— Merci.

Le fusilier marin, en sentinelle à la porte, annonça :

— L’aspirant de quart, commandant !

— Qu’il entre !

C’était le jeune Romney ; très agité, il lui soumit la liste des tâches de la journée, dressée par le second. Les visites allaient se succéder, les questions, les requêtes.

La page qu’il avait sous les yeux était couverte de la belle écriture ronde de Herrick :

— Fort bien.

Romney hésitait ; il se frottait les pieds l’un contre l’autre.

— Puis-je vous dire quelque chose, commandant ?

— Oui.

Bolitho lui tourna le dos, feignant de regarder l’eau qui défilait sous les hautes fenêtres.

— Je… C’est-à-dire… Nous… Commandant, nous… Nous voudrions que vous sachiez à quel point nous sommes désolés…

Bolitho, très ému, se pétrissait les phalanges et essayait en vain de se tourner vers son interlocuteur :

— Merci, monsieur Romney, articula-t-il enfin d’une voix changée. Je suis très sensible à votre démarche.

Romney le dévisageait d’un regard plein de chaleur. « Comme un bon chien fidèle », songea Bolitho dans son désespoir.

Le chirurgien passa la tête dans l’encadrement de la porte et Bolitho, d’un ton sec, le pria d’entrer.

Il comptait bien se plonger à corps perdu dans ses multiples devoirs et s’attaquer sérieusement à ses nouveaux projets. Mais cette humble démarche, motivée par la seule gentillesse, l’avait pris au dépourvu, comme un coup de sabre d’abordage brise la garde d’une rapière mal forgée.

Gwyther était affligé d’un accent gallois prononcé, surtout quand il cherchait à donner du poids à ses paroles :

— Mais vous, commandant, avez-vous bien dormi ? Vous ne m’avez pas l’air d’aller très bien, si je puis prendre la liberté de…

— Ne la prenez pas !

Bolitho parcourut rapidement la liste :

— Et Penneck ?

Le chirurgien eut un soupir.

— Je crois bien que son épreuve l’a brisé, commandant. Et M. Pyper se remet mal de ses brûlures et des intempéries. Mais…

Un autre soupir.

— … Il est jeune.

La visite suivante fut celle de Herrick. La conversation roula sur des sujets techniques et les multiples exigences du second pour garder la frégate en état de combattre. Il ne mentionna pas le nom de Viola, mais dans ses yeux bleus se lisait une vive compassion.

Bolitho se leva et marcha jusqu’aux fenêtres d’étambot. Des oiseaux de mer plongeaient et tournoyaient sous la voûte du vaisseau, toujours friands de quelque déchet et à l’affût de poissons imprudents. Bolitho songea à Blissett ; malgré ces épreuves, il était resté une fine gâchette.

— Avez-vous dit à Prideaux que Blissett doit recevoir sa promotion sans délai ?

— Oui, commandant.

Herrick, gêné, se tortillait d’un air gauche ; Bolitho, qui voulait en savoir plus, se tourna vers lui.

— Pour le cas où il aurait jugé cet avancement trop rapide, précisa le second, je lui ai objecté que ce n’était ni une demande, ni une suggestion de votre part, mais un ordre pur et simple, commandant. Je pense qu’il va s’exécuter.

— Bon.

On entendait un bruit de pas sur la dunette.

— J’ai exposé à M. Lakey, continua Herrick, votre désir que nous fassions force de voiles. J’ai fait doubler le quart.

Il essaya de sourire, afin de soulager un peu Bolitho :

— En qualité de maître de manœuvre, il n’était guère ravi d’avoir à torcher de la toile sous cette pluie.

Ne sachant qu’ajouter, il se tut un instant :

— Je puis me charger de tout ça, commandant. Inutile de vous déranger tant que nous ne serons pas en vue des îles.

Bolitho s’assit sur la banquette et regarda le pont couvert de toile.

— Dès que les voiles seront réglées, nous pourrions procéder à un exercice d’artillerie. Nous manquons tellement d’hommes qu’il nous faudra faire quelques substitutions au sein du rôle d’équipage.

Il se frappa les mains l’une contre l’autre :

— Je veux que ce navire soit prêt au combat. Me suis-je bien fait comprendre ?

— Ecoutez, commandant…

Herrick ne lâchait pas un pouce de terrain :

— Comme vous le savez, je n’ai pas une grande affection pour les Grenouilles[2], mais ils ont été si longtemps au service de leur roi qu’il nous est difficile de les assimiler à des pirates, n’est-ce pas ?

Bolitho le dévisagea gravement :

— Supposez un instant, Thomas, que je monte sur le pont à l’instant même et que je fasse rassembler tout l’équipage. Si je leur disais que nous sommes en guerre avec la France, que l’Angleterre compte sur leur courage et leur ténacité, croyez-vous qu’un seul homme à bord, y compris vous-même, oserait discuter ?

Il secoua la tête :

— Ne vous fatiguez pas à le nier. La réponse se lit sur votre visage.

Herrick le regarda, subjugué. Comment ce diable d’homme faisait-il pour passer ainsi d’une priorité à l’autre ?

— Si ce Français, Génin, réussit à soulever l’équipage contre son commandant, qu’est-ce qui pourra l’empêcher d’agir de même avec nous ?

Il eut une moue maussade.

— Mais je ne vois toujours pas pourquoi.

— C’est justement là l’intérêt de son accord avec Tuke : le commandement du navire, plus un sauf-conduit pour Génin en échange du salaire de Tuke – navires de transport, or, appuis, protection – peu importe. Aujourd’hui comme demain, ce dont Tuke a besoin, c’est une base sûre et solide.

Bolitho était à court d’arguments. Quant à Herrick, il était loin d’être convaincu.

— Et il n’a personne, reprit-il, pour se mettre en travers de ses projets. Sauf nous.

— Très juste, Thomas. Une frégate face à une flotte, notre équipage en sous-effectifs face à des combattants aguerris.

Il y eut un cri sur la dunette. Des pieds nus couraient sur les bordés. On demandait Herrick ; celui-ci, incapable de trouver une faille dans la farouche détermination de Bolitho, ajouta :

— Mais c’est nous qui allons l’en empêcher ! Nos maigres moyens, nous allons nous en servir pour détruire ce pirate et tous ceux qui le soutiennent. Dans quelques mois, si ce n’est déjà le cas, nous serons à nouveau en guerre contre la France. Nous n’allons pas offrir au Narval le plaisir de nous combattre un jour !

Il tourna la tête avant de continuer :

— J’aurais dû voir cela avant, il y a bien longtemps ; comme Le Chaumareys, je me suis montré trop sûr de moi.

Il s’excusa d’un sourire qui manquait singulièrement de chaleur :

— Vos hommes vous demandent, Thomas. Je monterai dès le début des exercices.

— Je ne vous ai rien dit jusque-là, conclut Herrick avec simplicité. Mais je vous dois des excuses, ainsi qu’à la dame : j’ai eu tort de vous critiquer et je n’étais pas en droit de me conduire comme je l’ai fait. À présent, je vois à quel point vous aviez besoin l’un de l’autre, combien sa perte vous éprouve. Je le regrette, non seulement en qualité de subordonné, mais aussi, croyez-le, en tant qu’ami fidèle.

Bolitho hocha la tête. Sa mèche lui retomba sur l’œil :

— C’est ma faute, et celle de personne d’autre. J’aurais dû suivre votre conseil, il y a cinq ans, et de nouveau il y a quelques mois. Je suis coupable d’avoir mis sa vie en danger. Elle avait mis sa confiance en moi, et à présent elle est morte.

Il lui tourna le dos :

— Maintenant, veuillez me laisser.

Herrick ouvrit la bouche mais aucun son ne sortit. Jamais il n’avait vu le commandant si mal : pâle, en dépit de son bronzage, les yeux cernés comme ceux d’un possédé.

Sur le pont, il découvrit que l’on avait remplacé les hommes manquants en dépit du bon sens. Il aperçut Blissett, debout au milieu des fusiliers marins près des bastingages, son mousquet au côté. Il avait maigri, mais semblait bien se remettre du calvaire qu’ils avaient enduré ensemble.

— Je suis heureux de constater que vous vous portez bien, caporal Blissett, observa-t-il.

— Merci, Monsieur ! répondit Blissett en bombant le torse.

Sa vie avait pris une tournure nouvelle : il avait enfin le pied à l’étrier.

Herrick s’avança jusqu’à la rambarde de dunette, les dernières gouttes d’une lourde pluie tropicale tambourinaient sur les voiles et les hommes au travail. Il allait bientôt faire une chaleur d’enfer. Sur le pont de batterie, des hommes le dévisageaient : des gabiers torse nu qui attendaient sur les passavants, prêts à s’élancer dans les hauts pour larguer les perroquets. « Un point trop vilain équipage, songea-t-il, aussi varié que le public d’un match de boxe, mais pas plus mauvais. » Pour le meilleur ou pour le pire, ils étaient ensemble. Il revenait donc à Herrick d’accepter, sinon d’approuver, la façon dont il était obéi. Peut-être aurait-il dû prendre la parole, leur dire que, si Bolitho avait raison, ils allaient devoir se dépasser plus que jamais.

Quelqu’un arrivait derrière lui, c’était Bolitho :

— Quelque chose ne va pas, monsieur Herrick ?

Herrick soutint le regard calme de ses yeux gris ; une nuance lui échappait : était-ce un défi ou une supplique ?

Il salua son commandant :

— Je pensais que vous alliez vous retirer en bas un moment, commandant.

Bolitho regarda en silence les hommes immobiles et la frégate bien calée à la gîte, bâbord amures :

— C’est ici qu’est ma place.

Il appuya les mains sur la rambarde de dunette ; il sentit les vibrations du gréement, message sans fin adressé à quiconque voulait bien s’y intéresser. Lui revint l’expression de Viola, le jour où il lui avait exposé la façon dont un bateau se comporte à la mer et au vent. C’est qu’il n’en menait pas large, au début ! Tandis qu’il lui décrivait la trame de sa vie quotidienne, il se sentait un petit garçon. Mais elle n’avait manifesté nul ennui, et plus qu’un intérêt poli. Avec le temps, ils auraient fini par avoir les mêmes centres d’intérêt. Ils auraient bâti quelque chose d’aussi durable et solide que sa vieille maison de Falmouth. À présent…

— Poursuivez, monsieur Herrick, dit-il brusquement. Envoyez les gabiers dans les hauts et larguez les perroquets, je vous prie.

En un instant, les haubans et les enfléchures se peuplèrent de silhouettes agiles que houspillaient les officiers mariniers ; les oiseaux de mer décollèrent en criaillant pour aller tournoyer au ras de l’étrave.

Bolitho se mit à marcher de l’avant à l’arrière, le long de la lisse au vent ; le calme qu’il affichait n’était qu’apparent, mais seuls ses intimes le savaient.

Chacun de ses pas exigeait un effort ; l’équipage s’affairait autour de lui, les gabiers se laissaient glisser le long du pataras pour se hâter vers d’autres tâches, les voiles se gonflaient avec un bruit de tonnerre et durcissaient sous l’effet du vent ; mais le capitaine de corvette Richard Bolitho était seul, debout sur sa dunette ; il n’avait personne à qui confier son désespoir.

 

Le Tempest fit une traversée rapide jusqu’aux îles Levu ; ils n’aperçurent nul esquif plus grand qu’un prao. Bolitho ne pouvait se défaire d’une impression désagréable : il se sentait épié.

Il savait que la plupart des hommes de son équipage cherchaient à garder leurs distances et à éviter son regard. À bien des points de vue, et en dépit de l’espace si restreint qu’il partageait avec l’équipage, l’isolement dans lequel il se trouvait lui convenait. Il n’en était pas moins conscient de ses responsabilités, notamment quant à l’avenir ; et l’avenir, c’était le lendemain.

Il exécrait l’idée d’être craint par des hommes dont le destin reposait entre ses mains. Il lui arrivait de surprendre des regards, on s’inquiétait quant à ses réactions face à leurs besoins, à ses décisions concernant les exercices de manœuvre et d’artillerie ; il sentait que les hommes étaient attentifs à ses réactions ; qu’ils fussent occupés sur le pont ou dans le gréement, il les devinait tantôt curieux, tantôt inquiets ; malgré le deuil qu’il subissait, il y en avait même pour lui envier ses privilèges, et qui les comparaient à leur propre existence de Spartiates.

Le dernier jour, tandis que le Tempest s’avançait lentement, on vit la silhouette de l’île prendre forme au soleil matinal ; Bolitho, alors, était agité par des sentiments plus que confus.

Peu après l’aube, la vigie en tête de mât avait signalé de la fumée ; au fur et à mesure que l’aurore avait précisé le dessin des collines arrondies et fait surgir des reflets dans l’eau, il avait aperçu un voile sombre qui dérivait au-dessus de la baie, comme un nuage bas gorgé de pluie.

— On dirait que ça vient du comptoir, commandant, avait suggéré Herrick.

— On dirait, avait répondu Bolitho.

Il se remit à l’écoute de ses sentiments. Souhaitait-il vraiment la mort de Raymond ? Ou bien se réjouissait-il simplement du fait que ce nuage de fumée lui donnait raison ? Il savait à quoi s’en tenir au sujet de Tuke et du Narval ; par-dessus tout, il savait exactement ce qu’il avait à faire.

— Donnez-moi ma longue-vue, ordonna-t-il sèchement.

L’aspirant Romney la lui tendit ; il la braqua vers la terre.

Balayant la baie, il remarqua au passage l’épave de l’Eurotas qui pointait au-dessus de l’eau ses chicots menaçants. Il avait presque oublié ce naufrage, dont le souvenir fut pour lui un nouveau coup de poignard. Il lui rappelait des heures trop difficiles, et notamment cette nuit de terreur où ils s’étaient enfuis, la peur au ventre : sur le moment, il avait plus redouté l’artillerie de Raymond que les épreuves qui devaient emporter Viola.

Finalement, il encadra le comptoir dans son champ de vision ; la fumée provenait de quelques dépendances, probablement celles construites par les bagnards. Il releva plusieurs trous dans le rempart, sans doute des brèches ouvertes par de grosses pièces d’artillerie.

Mais le pavillon flottait toujours en haut du mât. Il referma sa longue-vue ; une fois de plus, il se reprochait son excès de complaisance : plus jamais ça !

— Faites faire branle-bas de combat, monsieur Herrick. Nous mouillerons à deux encablures de la jetée. J’ai besoin de pouvoir appareiller sans délai.

Il fit la sourde oreille à l’écho des sifflets, au bruit des pas précipités sur les passavants et les ponts. Borlase était penché à l’avant, sur le gaillard, avec les hommes de cabestan. Il se retourna, stupéfait de toute cette agitation, et Bolitho se demanda un instant si l’aspirant ne pensait pas que son commandant avait perdu la raison ; peut-être se disait-il qu’après le calvaire subi dans la chaloupe, il n’était plus en mesure de prendre des décisions raisonnables.

Herrick traversa en hâte la dunette et salua :

— Branle-bas de combat terminé, commandant. Devons-nous mettre les pièces en batterie ?

— Pas encore.

Bolitho braqua de nouveau sa lorgnette et aperçut quelques hommes, torse nu, qui se cachaient dans les buissons au-dessus de la plage. Ainsi, le village de Tinah n’avait pas été complètement rasé. Il se surprit à en remercier le ciel, heureux que certains eussent été épargnés.

Il baissa son instrument et remarqua Keen sur le pont de batterie ; l’officier s’abritait les yeux pour regarder la terre. Sans doute devait-il évoquer son rêve. La belle Malua.

Lakey se racla bruyamment la gorge :

— Le vent faiblit, commandant.

Bolitho se tourna à demi : ils étaient sous le vent de l’île et les revolins faisaient bruyamment claquer les huniers au-dessus de leurs têtes.

— Fort bien. Nous pouvons mouiller à présent.

Pour les équipages des embarcations, cela représenterait un long trajet ; mais par ailleurs, cela permettait au Tempest de tenir toute la baie sous le feu de son artillerie.

— A border les bras sous le vent ! Paré à virer ?

Bolitho fit quelques pas vers l’arrière et surveilla la manœuvre : on manquait cruellement de bras car le gros de l’équipage était aux postes de combat.

Que de progrès accomplis en deux ans ! Leur navire était peut-être un peu lourd pour une frégate, mais il les avait bien servis.

Les marins halaient fébrilement sur les écoutes et les cargues, tandis que d’autres faisaient diligence pour brasseyer les vergues.

— Barre dessous !

Bolitho traversa la dunette de façon à garder l’œil sur la côte, et sur la jetée, au pied du comptoir.

— Envoyez !

À peine l’ancre était-elle larguée qu’il ordonnait :

— Je vais avoir besoin de ma guigue, ainsi que de la chaloupe, avec un groupe de débarquement de fusiliers marins au complet. Prideaux débarquera personnellement à leur tête.

Il fit signe à Allday :

— Assure-toi que les nageurs de la guigue sont convenablement choisis.

Il surprit une lueur de reproche dans le regard de son patron d’embarcation.

— Je sais, je sais : tu t’en es déjà occupé. Mais ce qui va sans dire va encore mieux en le disant.

Les fusiliers marins quittaient leurs postes à la poupe et dans les hunes ; le sergent Quare hurlait ses ordres, son visage congestionné était si marqué par les coups de soleil qu’il avait presque la même couleur que son habit.

Herrick surveillait les embarcations que l’on débordait au-dessus des bastingages, tandis que Jury houspillait ses hommes avec des meuglements de bouvillon.

— On dirait que l’on attaque le comptoir, commandant.

— Oui.

Bolitho écarta les bras pour laisser Allday lui boucler son ceinturon.

— Cela prouve que vous aviez raison : Tuke aimerait s’installer ici lui-même. Il a dû se servir des canons capturés pour donner un coup de semonce à Raymond.

Herrick se passa la langue sur les lèvres :

— On dirait qu’il a toujours une longueur d’avance sur nous, commandant.

Bolitho s’avança sur le passavant et regarda les embarcations le long du bord :

— Et tout cela parce qu’il a capturé la goélette de Hardacre et qu’il a déchiffré nos messages.

— Je suis vraiment navré, commandant, je pensais…

Bolitho lui empoigna le bas :

— Non, Thomas, c’est notre seule force. Tuke va croire que vous êtes encore au mouillage devant l’île de Rutara ; il doit penser que vous craignez de désobéir aux ordres reçus et que vous redoutez l’itak qui ravage le comptoir. Il sait aussi que, sans la goélette, nous n’avons aucun courrier disponible pour échanger des messages entre le navire et le comptoir.

Herrick le dévisagea un moment :

— J’aurais pensé la même chose à sa place.

Il secoua la tête :

— Pardi ! Un bateau ouvert, avec de l’eau et de la nourriture pour quelques jours à peine, et de surcroît au milieu d’îles dangereuses, je puis comprendre son point de vue !

— Cela ne change rien.

Bolitho regardait la chaloupe surchargée de fusiliers marins déborder la muraille du navire et attendre la guigue pour s’éloigner :

— Cela nous donne du temps. Sans cela, j’en ai peur, l’île serait déjà tombée.

— Nous sommes prêts, commandant ! lança Borlase.

— Et quels sont mes ordres, commandant ? lui demanda Herrick en l’accompagnant à la coupée.

— Comme d’habitude ! Une bonne vigie et cinq ou six pièces en batterie. Si tout est calme à terre, postez aussi une vigie sur la colline.

Il descendit dans la guigue, les coups de sifflet résonnèrent dans l’air humide.

— A quoi bon toute cette démonstration de force ? demanda Borlase, agacé. Les fusiliers marins, les nageurs de la guigue dans leur plus bel appareil ? Voilà qui ressemble davantage à une visite de courtoisie qu’à une évacuation.

Herrick le toisa calmement :

— Une évacuation ? Jamais ! C’est la façon qu’a le commandant de montrer que le Tempest est bien le même, quoi que d’autres puissent penser ou craindre. Nous sommes à bord d’un navire de guerre, monsieur Borlase, nous ne sommes pas un ramassis de poules mouillées !

Keen les rejoignit à la coupée et demanda :

— Qui est descendu à terre avec le commandant ?

— M. Swift, répondit Herrick, laconique. Cette expérience l’aidera à se préparer à sa promotion définitive ; il n’est encore officier que par intérim.

Herrick se souvint des propres mots de Bolitho, dans sa cabine, avant l’aube :

— Pas M. Keen, Thomas, c’est trop tôt. Il croira voir sa Malua derrière chaque arbre, il croira entendre sa voix. Laissons-lui du temps. Je prendrai le jeune Swift.

Herrick soupira. Les embarcations s’approchaient en bon ordre de la jetée. « Et pour lui, ce n’est pas trop tôt, peut-être ? »

 

Bolitho, debout près d’une longue fenêtre, dans le bureau de Raymond, écoutait le caquetage frénétique d’une poignée d’oiseaux qui menaient grand tapage dans les fourrés.

Il était le premier étonné de se sentir si calme : ni la haine, ni le dégoût que lui inspirait Raymond, assis à sa table de bois sculpté, ne lui faisaient perdre ses moyens.

Sous la fenêtre, quelques fusiliers marins traversaient la cour : leurs voix et leurs bottes semblaient plus sonores qu’à l’accoutumée. Pendant son absence, tandis que lui et son équipage luttaient jour après jour pour survivre, le comptoir avait sombré dans une sorte de déchéance. Les magasins avaient été pillés ; bouteilles et futailles vides traînaient partout. Raymond, le premier, se laissait aller : l’œil cerné, le cheveu hirsute ; sa chemise sale complétait un tableau pathétique. De tous, c’était lui qui avait le plus changé. Jusqu’au dernier moment, Bolitho s’était demandé si on lui autoriserait l’accès de l’enceinte. Il avait envisagé un refus, sachant que si pareille éventualité s’était présentée, il n’aurait eu assez d’empire ni sur lui-même, ni sur ses hommes pour éviter que la porte ne fût forcée. Quand il avait pénétré dans son bureau, Raymond était assis à sa table ; on aurait dit qu’il n’avait pas bougé depuis que les deux embarcations s’étaient esquivées à la faveur de la nuit.

— Tiens, vous êtes toujours vivant ? avait-il aimablement demandé. Et quels sont donc vos projets ?

Après qu’il avait accueilli à la jetée les embarcations du Tempest, Hardacre avait accompagné Bolitho jusqu’à la palissade et décrit, avec force détails sinistres, ce qui s’était passé pendant son absence. Un bon tiers des indigènes avaient succombé aux fièvres ; les gardiens étaient restés terrés derrière leurs fortifications ; Hardacre, de son côté, s’était efforcé de donner aux naturels le goût de se battre pour survivre.

Raymond avait fini par chasser les bagnards du comptoir en leur donnant l’ordre de rester dans leurs huttes et de se débrouiller. Eux aussi, Hardacre les avait aidés : en récompense, ils avaient ignoré les ordres de Raymond et s’étaient dévoué auprès des villageois.

Puis, deux jours plus tôt, à l’aube, l’île s’était réveillée au fracas des pièces d’artillerie ; d’énormes boulets tirés du promontoire traversaient la baie pour venir s’écraser au milieu des arbres. Une goélette était mouillée devant le lagon : durant la nuit, quelques hommes de Tuke avaient débarqué de grosses pièces sur l’île ; ils avaient ouvert le feu dès qu’ils avaient pu ajuster leur tir.

Il semblait que Raymond n’avait pas fait poster de sentinelles. En outre, aucun de ses officiers n’était suffisamment sobre pour pouvoir exercer ses responsabilités ; l’attaque, totalement inattendue, les avait tous pris au dépourvu.

— Deux heures, continua Hardacre, dégoûté, deux heures à subir le feu de leurs canons. Quelques sujets de Tinah ont été blessés et deux sont morts.

Le comptoir lui-même fut touché mais par quelques simples coups de semonce. Peut-être les pirates savaient-ils que le Tempest était sur le point de revenir. Ils prirent tout de même le temps de laisser un message pour Raymond.

Le « message » en question avait été épinglé sur le cadavre mutilé d’un officier français, le fameux Vicariot, second de De Barras. Un texte bref : si Raymond et ses hommes décidaient d’évacuer le comptoir, il leur serait accordé un sauf-conduit pour une autre île sur laquelle ils pourraient attendre leur rapatriement. Dans le cas contraire, ils s’exposaient à subir le sort de Vicariot, comme tous ceux qui avaient tenté de résister à Tuke.

Pensif et morose, Bolitho se tenait près de la fenêtre. Si Tuke avait eu vent à l’avance du retour du Tempest, il aurait attaqué plus tôt, sans perdre du temps en gestes symboliques spectaculaires. Cet homme n’était pas seulement un roublard, mais un cabot. Il comptait sur ces démonstrations de cruauté sauvage pour briser dans l’œuf la moindre velléité de résistance.

Ce qui ne faisait plus de doute, c’était que le Narval était tombé entre ses mains ; le pavillon que le navire arborait désormais était sans importance ; en revanche, ses trente-six canons, appuyés par les forces dont Tuke disposait précédemment, étaient plus que suffisants pour déborder et écraser toutes leurs défenses.

— Que savez-vous du village ? demanda doucement Bolitho, combien de morts ?

Pas une fois Raymond ne demanda de nouvelles de Viola. Aussi incroyable qu’exaspérant. Soudain, Bolitho sentit une barrière se rompre en lui ; il déclara à brûle-pourpoint :

— Votre femme… Elle a péri en mer.

Le simple fait de prononcer ces mots à voix haute lui semblait un blasphème. Partager la mémoire de Viola avec cet individu égoïste et vindicatif, c’était plus que Bolitho n’en pouvait supporter :

— Elle est morte avec courage, ajouta-t-il sèchement.

Raymond pivota lentement sur son fauteuil, ses yeux brillaient dans l’ombre d’une lueur dangereuse :

— C’est bien ce que je pensais. Plutôt mourir que de vivre avec moi.

Il se dressa avec violence, ce qui fit rouler une bouteille vide qui reposait sur une pile de documents.

— Et Vicariot, vous êtes au courant ? demanda-t-il en toute hâte, comme s’il craignait d’être interrompu. Et l’attaque du comptoir ? Ils reviendront. J’ai vu le Français. Ils l’ont mutilé de la tête aux pieds. Sauf le visage. Ils voulaient être sûrs que nous pourrions l’identifier.

Il pivota sur ses talons, son visage était déformé par un rictus haineux :

— J’ai des ordres écrits concernant Hardacre. Il doit prendre le commandement du comptoir jusqu’à ce que…

Il se mit à fouiller nerveusement dans ses documents ; celui qu’il cherchait rendrait à Hardacre tout ce qu’il avait perdu, mais seulement pour une trop brève période :

— Mes gardes vont embarquer les bagnards sur votre navire aujourd’hui. À l’instant même. À Sydney, il doit y avoir de nouvelles instructions.

Hardacre n’avait encore rien dit :

— Vous partez ? Vous quittez le comptoir ? Vous les laissez nous massacrer ? Plus de milice, pas même une goélette ! Mille grâces vous soient rendues !

Bolitho le regarda ; et soudain tout fut absolument clair.

— Nous ne partons pas. Moi aussi, j’ai des ordres. Vous en souvient-il, Monsieur ? poursuivit-il en se tournant vers Raymond. Vous aviez défini de façon précise l’étendue de mes responsabilités ici.

Il s’avança de nouveau vers la fenêtre et regarda un instant les vertes frondaisons caressées par la brise :

— Je refuse de m’enfuir. Peu importent les forces qui me seront opposées. Vous m’avez assez rebattu les oreilles avec la stupidité des officiers de marine et l’ignorance des marins en général. Quand les choses se gâtent, voici soudain qu’on a besoin d’eux ! Vous parlez de la guerre comme si c’était un jeu… Guerre juste, sale guerre… Je commence à croire que, pour vous, une sale guerre est une guerre où vous êtes personnellement menacé, monsieur Raymond, et j’en ai assez !

Raymond posa sur lui ses yeux humides :

— Vous êtes fou ! Je le savais !

Il se mit à gesticuler en direction de la cloison :

— Vous risqueriez votre vie, votre navire et tout le reste pour ce comptoir insignifiant ?

Bolitho eut un sourire bref :

— Il y a quelques minutes encore, vous en étiez gouverneur ; les choses étaient-elles si différentes alors ?

Il durcit le ton :

— Pour moi, rien n’a changé !

La porte s’ouvrit à la volée et le capitaine Prideaux entra de son pas de grenadier ; ses bottes martelaient les nattes de jonc comme celles de toute une escouade.

— J’ai inspecté le périmètre, commandant, dit-il en ignorant superbement la présence de Raymond. Mes hommes ont mis les bagnards au travail. La brèche la plus large se trouvait dans la palissade nord. Le sergent Quare s’en occupe personnellement.

— Il faut que je voie Tinah, intervint Hardacre. Lui aussi pourrait se rendre utile.

— Non, coupa Bolitho, conforté par la formidable présence de Hardacre. En cas d’échec de notre part, toujours possible, je souhaite que ses sujets soient épargnés. Si l’on sait qu’ils collaboraient avec nous, cela diminuera leurs chances de s’en sortir.

Hardacre le regarda gravement :

— Voilà qui ne manque pas de panache, commandant.

— Je vous l’ai dit, il est fou !

Raymond brassait l’air à grand gestes ; un filet de bave lui coulait sur le menton :

— Quand tout sera fini, je…

— Vous avez vu ce qu’il reste de cet officier français, tonna Hardacre. Maudit crétin ! Si le commandant Bolitho ne nous défend pas, il ne restera plus rien ici que vous puissiez haïr ou détruire encore !

Il gagna rapidement la porte :

— Je vais voir ce que je peux faire pour venir en aide aux fusiliers marins.

Il ouvrit la porte sur Swift qui se fit remarquer par une toux discrète :

— ’Mande pardon, commandant, mais j’aimerais avoir votre avis sur le meilleur emplacement pour les couleuvrines.

— Tout de suite, monsieur Swift.

Bolitho tourna les talons. Etait-ce par hasard que Prideaux et Swift s’étaient attardés ? Peut-être craignaient-ils qu’il ne perdît son sang-froid et n’abattît Raymond. Mais toute acrimonie vis-à-vis de cet individu s’était envolée : pour Bolitho, Raymond avait perdu toute substance, tout semblant de réalité.

Comme il passait au plus sombre du palier, il perçut un mouvement leste et se sentit accroché au bras par une main de femme. Prideaux, surpris, les bouscula avec un juron ; les mains glissèrent pour se rattraper aux jambes de Bolitho, puis à ses chaussures.

— Laissez-la, dit-il.

Il se pencha et aida la jeune fille à se remettre debout. La pauvre enfant avait complètement perdu l’esprit ; elle était en pleurs, elle le regardait.

— Moi aussi, je l’aimais, dit Bolitho avec douceur.

Il avait besoin de conserver tout son empire sur lui-même pour lui adresser la parole d’une voix calme :

— Comme toi.

Mais elle secoua la tête et appuya son visage contre la main de l’officier. Allday était au pied de l’escalier :

— Elle n’arrive pas à se faire une raison, commandant.

Il fit un geste en direction du fusilier marin :

— Conduis-la dans un endroit sûr, mais ne la touche pas.

— Moi non plus, je n’arrive pas à me faire une raison, commenta Bolitho avant de sortir, et de se laisser éblouir par le grand soleil.

Il remarqua vaguement qu’Allday avait dégainé son sabre d’abordage ; sans doute l’avait-il sorti du fourreau au moment où la jeune fille était brusquement sortie de l’ombre : Allday était toujours prêt à le défendre.

— Qui va s’occuper d’elle, Allday ? demanda-t-il simplement.

— Je l’ignore, commandant.

Il lui emboîta le pas :

— Chacun devrait trouver sa place.

Sa voix se fit plus enrouée comme il ajoutait :

— Sûr qu’il y a de la place pour tout le monde sur cette fichue planète !

Il remit son sabre au fourreau d’un geste rageur :

— Veuillez m’excuser, commandant. Je m’oublie.

Tant mieux, pensa Bolitho. Puis il sortit sa montre de son gousset, d’un geste sûr qui le surprit lui-même : il avait toujours son sang-froid.

— Viens, dit-il, allons faire le tour des défenses et nous rendre compte par nous-mêmes.

— A vos ordres, commandant, répondit Allday en souriant, soulagé et vaguement ému.

Comme ils franchissaient le portail, le fusilier marin en sentinelle claqua des talons ; Prideaux ne put s’empêcher d’observer :

— Peste, monsieur Swift, on se croirait sur le Plymouth Hœ !

Le jeune homme approuva de la tête ; il comprenait que ce qu’il voyait était bien, mais il était incapable de mettre un nom dessus.

Prideaux le regarda et s’exclama :

— Ah non ! Pas vous ! Faites ce que vous avez à faire ou alors, que vous soyez lieutenant par intérim ou pas, votre postérieur va tâter du plat de mon sabre !

 

Tout le reste du jour, puis les jours suivants, des embarcations ne cessèrent de faire la navette entre le Tempest et le rivage. Bolitho était partout, écoutait chacun, stimulait les suggestions qui, rares au début, se firent de plus en plus nombreuses et pertinentes.

Allday le suivait comme son ombre, prévenant, attentif ; chaque instant confirmait la farouche détermination qui habitait le commandant. C’est tout juste s’il remarqua que les membres honnis du détachement de Sydney étaient retournés à leurs devoirs dans tout le comptoir, et avaient accepté les ordres de Prideaux sans un murmure. Il ne s’étonnait pas non plus du fait que les matelots les plus amorphes et les moins compétents acceptaient de travailler quart après quart, sans une plainte. Mieux que beaucoup, il savait que, sans Bolitho, l’ensemble de ces projets n’aurait pas plus d’effet qu’un pétard mouillé.

Tandis que Bolitho, debout sur la colline, surveillait les matelots qui liaient des balles de foin et des feuilles de palme, ou réparaient le rempart enfoncé, Allday attendait. Il aimait la façon qu’avait Bolitho de tirer son plaisir de chaque nouveau défi, comme s’il cherchait l’approbation de quelqu’un que nul ne pouvait voir ; Allday, lui, savait bien de qui il s’agissait.

Juste avant que l’obscurité n’étende son ombre sur la baie, les vigies signalèrent une voile à l’est. Bolitho retourna à son bord, étrangement calme, à peine fatigué. Le sablier était presque vide et il en fut soulagé. D’une façon ou d’une autre, le dénouement approchait.

 

Mutinerie à bord
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